Grande lectrice de Bachelard, Agnès Varda fait des plages un paysage mental, cadre d’une ciné-philosophie de l’imaginaire. Si, à la fin de sa carrière, elle aime se définir comme une « visual artist » (Seys) plutôt que comme une cinéaste, ce n’est pas seulement parce que son cinéma quitte l’espace des salles pour celui des musées, mais parce que c’est son propre musée imaginaire et son fonctionnement qu’elle met en images et en mouvement dans chacune de ses œuvres. Après sa formation à l’École du Louvre et les cours de Bachelard qu’elle a suivis à la Sorbonne sur la philosophie de l’imaginaire, son passage de la photographie à la réalisation résulte du vif intérêt qu’elle attache à la puissance d’évocation des images que seul le cinéma peut associer aux mots, poétiser et animer pour des regards qu’il décille. « Habiter le monde », telle est l’intention des cinéastes dits du « réel » qui « ne visent pas une représentation du monde, mais une restitution cinématographique autant d’une présence-au-monde du cinéaste que d’une présence-du-monde au cinéaste » (Maury 10). Ce postulat se double dans l’œuvre d’Agnès Varda d’un trajet fictionnel inverse, depuis l’idéologie des images et des mots à l’expérience esthétique fondatrice du geste poétique, afin de faire de l’espace cinématographique un milieu considéré comme la « co-naissance d’un corps et d’un lieu » (Thomas 82).